CHAPITRE XV
La marche militaire qui accueillit le commandant suprême Nas Choka à bord du Yammka était chantée par des guerriers qu’accompagnait une ménagerie d’insectes et d’aviens, tous produits de manipulations génétiques.
Des villips projetaient une image de la flotte ancrée sur la cloison tribord, ainsi qu’une vue d’une planète hutt remodelée pour y faire pousser le corail yorik et les buissons de villips. Aux vaisseaux en forme d’astéroïde, de monstre marin ou de gemme taillée s’ajoutait un disque plat d’un noir brillant d’où émergeaient en spirale une dizaine de bras, vague imitation de la galaxie que les Yuuzhan Vong étaient déterminés à conquérir.
Le commandant suprême Nas Choka, ses assistants et ses subordonnés avançaient sur des coussins portés par des basals dovin. Quatre coussins plus petits les précédaient. Leurs minuscules occupants étaient cachés par des créatures ressemblant à des carrés de tissu imprimé. Cinq mille guerriers en tuniques de bataille, armés de bâtons et de coufees, étaient au garde-à-vous.
Entassés à tribord, deux cents prisonniers capturés sur Gyndine étaient purifiés et préparés en vue du sacrifice. Des excroissances osseuses, sur leurs mâchoires et leurs boîtes vocales, les empêchaient de parler ou de crier.
Derrière Choka venaient ses propres troupes, écrasant sous leurs pas un épais tapis de pétales de fleurs brunes, dont l’arôme avait déclenché le chant des insectes.
A l’autre bout du hangar attendaient le commandant Malik Carr, ses principaux subalternes, un groupe de prêtres, et, en retrait, l’Exécuteur Nom Anor.
Quand la procession de guerriers d’élite approcha de l’estrade, les roulements de tambour et les stridulations des insectes cessèrent. Malik Carr avança au bord de la plate-forme.
— Soyez le bienvenu, commandant suprême Nas Choka, dit-il d’une voix tonitruante, accentuée par les échos de la voûte et des cloisons-tympans. Le Yammka est à vos ordres !
Un bourdonnement emplit la soute. Des milliers de poings frappèrent simultanément l’épaule opposée, exécutant le salut traditionnel.
Le commandant suprême Nas Choka, chef militaire du vaisseau-spirale récemment arrivé, descendit de son coussin à basal dovin pour s’installer sur un siège surélevé au milieu de l’estrade. Les quatre coussins plus petits s’alignèrent derrière lui. Les prêtres, les modeleurs et les autres subalternes se répartirent sur le sol, des deux côtés de l’estrade. Malik Carr et sa suite les imitèrent. Les guerriers enroulèrent leur bâton autour de leur bras droit et mirent un genou en terre, tête basse en signe de respect.
Les battements de tambour et les chants des insectes reprirent, emplissant le hangar d’une sourde vibration qui secouait les tympans et les corps. Puis Choka leva un bâton de commandement en forme de reptile.
Le silence revint.
— Je vous apporte les salutations du maître de guerre Tsavong Lah, dit-il. Il vous félicite du travail accompli et attend avec impatience de se joindre à vous.
Les hanches étroites et les jambes musclées, Choka n’était pas très grand, mais ça n’enlevait rien à sa puissance. Il trônait sur son siège de corail poli sculpté comme s’il eût été une statue, tandis que des aviens aux plumes noires rafraîchissaient l’air à grands renforts de battements d’ailes. Ses tatouages faciaux, son nez aplati et ses yeux affublés de poches bleuâtres lui conféraient un air royal. Sa tunique sobre était mise en valeur par le manteau de commandement rouge sang qui tombait de ses épaules. Des anneaux de forme et de couleur voyantes poussaient sur ses doigts, s’enroulant à ses poignets et à ses bras. Sa chevelure noire, qui cascadait sur ses reins, était rejetée en arrière, dégageant son front incliné.
— Moi aussi, je vous félicite de votre abondante moisson. Vous vous êtes bien débrouillé. Mais avant de procéder au sacrifice ou d’apprendre du commandant Malik Carr où en est l’invasion, je voudrais profiter de l’occasion pour récompenser certains braves de leur dévouement à notre cause.
Le grand prêtre qui accompagnait Choka se leva et prit la parole.
— Nous remercions les dieux de nous avoir conduits dans le domaine qu’ils nous avaient promis. Puisse le sang que vous versez le purifier avant pour l’arrivée du seigneur suprême Shimmra. Nous honorons les dieux afin qu’ils prospèrent et nous accordent le pouvoir de continuer à prendre soin de leur création. Tous nos actes sont un reflet des leurs.
Le prêtre se tourna vers les coussins flottant derrière Choka et fit un signe. Les créatures-rideaux se soulevèrent, exposant quatre statues religieuses d’un mètre de haut. La première représentait Yun-Yuuzhan, le seigneur cosmique, sans les parties de son corps qu’il avait sacrifiées pour créer les dieux inférieurs et les Yuuzhan Vong. Les deuxième et troisième statues étaient des images de Yun-Yammka, le Tueur, et de Yun-Harla, la Déesse Masquée. La quatrième, la plus grotesque, incarnait Yun-Shuno, la déité aux yeux multiples patronne des « honteux », ceux dont les corps avaient rejeté les implants vivants par manque de préparation, ou à cause de leur ambition excessive.
Le commandant Choka se leva.
— Subalterne Doshao, commença-t-il, pour ses prouesses sur Dantooine. Subalterne Sata’ak, pour ses actes de bravoure sur Ithor. Subalterne Harmae, pour ses exploits à Obroa-skai. Et subalterne Tugorn, pour son travail d’ensemencement de Belkadan et ses actions sur Gyndine. Avancez pour être transfigurés.
Pendant que les quatre officiers gravissaient les marches de l’estrade, quatre implanteurs sortirent de niches situées dans le trône. Une fois les candidats alignés devant le commandant suprême, les implanteurs prirent place derrière eux.
Les implanteurs étaient une variante des créatures qui installaient les excroissances paralysantes sur les prisonniers. Petits et gris, dotés de six jambes, comme leurs cousins, ils disposaient de quatre appendices efficaces pour trancher la chair et insérer du corail à croissance rapide dans les plaies. Mais le calcificateur utilisait des parties de lui-même, alors que l’implanteur véhiculait les éléments nécessaires au rituel. Chaque implanteur grimpa sur le dos nu des subalternes, portant deux cornes de corail, dont l’extrémité pointue formait un crochet.
Une fois fixés sur la nuque des subalternes, ils purent atteindre les épaules. Avec le plus affûté de leurs appendices, ils ouvrirent les chairs, exposant l’os qui formait l’articulation. Une fois les incisions terminées et les flots de sang récupérés dans des coupes, ils insérèrent les cornes à crochet dans la blessure en utilisant le liquide résineux qu’ils produisaient pour souder les cornes aux os de l’épaule, et pour suturer les plaies. Un ngdin en forme de limace tournait autour des candidats, aspirant goulûment le sang que les acolytes n’avaient pas recueilli.
Couverts de sueur, les jambes tremblantes, pas un seul des quatre officiers ne cria de douleur. Satisfait, Choka fit signe à quatre assistants qui accoururent avec des manteaux de commandement de couleurs différentes proprement pliés.
Les acolytes apportèrent les coupes de sang au grand prêtre, qui les vida sur les idoles. Les assistants de Choka suspendirent les manteaux sur les crochets des excroissances.
Les tambours roulèrent.
— Vous êtes transfigurés, dit Choka. Maintenant que vous portez le manteau de commandement, vous recevrez vos propres vaisseaux et serez nommés chefs de secteur. Votre tâche sera de surveiller et de rééduquer la population des mondes dont vous serez chargés.
— Pour la plus grande gloire des dieux ! crièrent les guerriers et les soldats d’une seule voix.
Choka regarda les guerriers promus quitter l’estrade, puis se tourna vers Malik Carr.
— Encore une chose, commandant. Approchez, Exécuteur.
Personne ne portait des vêtements aussi flamboyants que ceux de Nom Anor. Il avança lentement sur la plateforme. Arrivé devant Nas Choka, il inclina à peine la tête. Appartenant à la caste de l’Intendance, il n’était pas obligé de saluer les militaires.
— Comme nous ne sommes pas du même ordre, Exécuteur, je n’ai pas la possibilité de vous transfigurer. Sinon, sachez que je serais plus enclin à vous rétrograder qu’à vous promouvoir.
Surpris, Nom Anor se crispa.
— Vos actions ont été surveillées de près et commentées, Exécuteur. Maints courtisans de Shimmra pensent que vous avez dévié du droit chemin. D’abord, vous vous êtes alliés aux Vong Prétoriens, qui se croyaient capables de lancer une invasion de cette envergure sans conséquences tragiques.
— Je ne me suis pas allié à eux, rectifia Nom Anor. Ma mission était de déstabiliser la Nouvelle République par tous les moyens. C’est ce que j’ai fait au sein des Moffs Impériaux, ainsi que dans le système osarien. J’ai continué sous différents déguisements, dans une demi-douzaine d’autres systèmes.
Choka le foudroya du regard.
— Qui a aidé les Vong Prétoriens à se procurer un yammosk ? Défectueux, qui plus est !
Nom Anor déglutit péniblement.
— J’ai peut-être mentionné quelque chose…
— Vous les avez aidés !
— D’un certain point de vue, on pourrait le considérer ainsi…
— N’essayez pas de me tromper, Exécuteur. Vous avez habilement manœuvré pour échapper au sort qu’ont connu le préfet Da’gara et ses assistants, mais vous êtes responsable du plan qui a entraîné la mort de la prêtresse Elan, la fille du haut prêtre Jakan. Inutile de préciser qu’il est furieux contre vous !
— Il n’y a pas de preuves qu’Elan et sa mascotte Vergere soient mortes. De toute façon, on ne peut pas m’accuser de ce qui leur est arrivé.
— Vous estimez ne pas être à blâmer quand vos agents prennent des initiatives sans votre autorisation ?
Nom Anor haussa le ton.
— Mes agents recherchaient mon approbation – et la vôtre –, en nous rendant Elan. J’ignorais tout de leurs plans jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
— Est-il exact qu’Elan devait assassiner le plus de Jeedai possible ?
— Oui.
— Pourquoi cette fascination pour les Jeedai, Exécuteur ? Je ne suis pas convaincu qu’ils représentent une telle menace !
— Ce n’est pas tant les Jedi qui sont à craindre que la Force, la puissance qu’ils représentent.
— La Force est une vue de l’esprit, c’est tout, trancha Choka. La meilleure façon de vaincre une idée est de la remplacer par une meilleure, comme celle que nous apportons.
Nom Anor se permit un ricanement.
— Si vous le dites, commandant suprême…
— Et voilà que j’apprends du commandant Malik Carr que vous avez été l’instigateur de l’alliance avec les créatures occupant cet espace, les Hutts.
L’œil véritable de Nom Anor s’étrécit.
— Les Hutts sont très importants pour le plan que le commandant Malik Carr et moi-même avons mis au point. Grâce à eux, nous infligerons une cuisante défaite à la Nouvelle République. Vous arrivez à point nommé, car une partie de ce plan sera bientôt mise en œuvre. Si vous nous accompagnez à la bataille, vous aurez une approche directe de notre stratégie de conquête des mondes du Noyau.
Choka réfléchit.
— Je viendrai. Pourtant, laissez-moi vous mettre en garde contre les dangers de l’ambition, Exécuteur. Vous aspirez à la transfiguration, mais il n’existe pas de raccourci pour les positions de consul ou de préfet. Prenez conseil auprès de Yun-Shuno. La transfiguration est accordée seulement à ceux qui ont rempli leurs obligations envers les dieux. Vous agissez en votre propre nom, comme si vous aviez un intérêt personnel dans tout ça. Les croyances hérétiques des peuples de cette galaxie vous auraient-elles corrompu ?
Nom Anor soutint le regard de Nas Choka. Un instant, il regretta de ne pas avoir caché un plaeryin bol cracheur de venin dans son orbite vide…
— Je m’intéresse uniquement à ce que cette galaxie peut fournir aux Yuuzhan Vong. (Il se tourna vers Malik Carr.) Avec tout le respect que je vous dois, commandant, notre cible nous attend.
Malik Carr regarda Nas Choka.
— Accomplissons le sacrifice et voyons ce que le commandant Malik Carr et l’Exécuteur Nom Anor ont en tête. Amenez les prisonniers. En les sacrifiant, peut-être aiderons-nous l’Exécuteur Nom Anor à remporter la victoire dont il a tant besoin !